Politique

Pour une diplomatie moderne

La Croix 12-13/5/1968

 

Depuis trente ans les hasards de ma carrière m'ont fait suivre de nombreuses Conférences internationales. J'ai vécu les illusions de San Francisco, les déboires des Quatre et des Vingt et un, les palinodies de l'ONU, plus récemment les rencontres du Caire, d'Athènes et de la Nouvelle-Dehli. À travers ces expériences un fait me frappe : nos gouvernements et nos administrations, sous la Ve comme sous la IVe, ne se sont jamais adaptés à cette voie nouvelle de la diplomatie.

Il ne s'agit ici ni d'approuver ni de critiquer une telle voie. Pour ma part, je lui crois surtout des défauts. Il lui arrive d'envenimer les conflits. Mais elle existe.

Les effets de cette inadaptation sont d'autant plus graves que de Conférences en Conférences, pratiquement hors de tout contrôle, on noue des engagements. Ils ne prennent pas la forme d'actes que les Chambres ont à approuver, et au surplus depuis bientôt dix ans notre politique étrangère leur échappe. Mais je n'ai pas l'impression non plus qu'à l'intérieur du domaine considéré comme « réservé », le Chef de l’État prête grande attention à ces accords économiques. Ainsi peu à peu nous sommes-nous trouvés liés sous la  IVe République par les ficelles du GATT44, et sous la Ve par celle de la CNUCED45 au gré des « spécialistes », toujours les mêmes, qui depuis vingt ans, mènent en totale autonomie cette part de notre politique. Certains s'y sont finalement identifiés, tellement que jeter un regard sur leur travail revient à une offense personnelle. D'autres vivent ces rencontres comme des rites où sans foi aucune on psalmodie toujours les mêmes propos redondants.

Or, au contraire pour répondre aux impératifs de cette diplomatie nouvelle, il faudrait recourir à trois sortes d'hommes. D'abord des parlementaires, des routiers de la politique, qui savent comment on meut les assemblées, et non des professeurs d'économie, qui assènent des leçons magistrales dans le sommeil des traductions simultanées (je me rappelle, dans ma jeunesse, Léon Blum à la SDN : il atteignait à un autre style). Ensuite des hommes d'affaires et des dirigeants syndicaux, capables d'évaluer les risques et pour qui les phénomènes économiques ne s'apprécient pas sur des statistiques vieilles de trois ans, mais sur une prospective des dix années qui viennent. Enfin, des fonctionnaires appartenant à une véritable administration, au lieu qu'aujourd'hui les ministères dits techniques n'ont droit qu'à des représentants trop minoritaires pour être efficaces.

Quand comprendra-t- on au Quai d'Orsay que nous ne vivons plus au temps de Vergennes ?

 


44 Accord général sur les tarifs et  le commerce.

45 Commission des Nations Unies pour le commerce, l'expansion et le développement.